Anacoluthe et rupture syntaxique

Tout le monde fait des ruptures syntaxiques. Vous ne pouvez y échapper, mais vous pouvez apprendre à les repérer. Une fois que vous les avez identifiées, vous pouvez alors décider de les supprimer ou de les garder, car non, elles ne sont pas interdites, même si un·e bon·ne correcteurice vous les corrigera.

Une anacoluthe, c’est quoi ?

Avec quelques recherches, vous apprendrez que l’anacoluthe est une faute syntaxique, notamment selon le Bescherelle, mais aussi une figure de style, parce qu’on peut invoquer la “licence poétique” à notre guise, c’est le privilège d’auteurice. Quand monsieur Tout-le-monde en fait une, on voit ça comme une faute, mais si c’est Victor Hugo, là c’est une figure de style. Dites non aux doubles standards. La frontière entre l’erreur et le style est mince. Ce qui fera la différence, comme toujours, sera votre intention.

Voici, en prenant pour exemple Cachou notre petit paresseux préféré, une rupture syntaxique. La seconde phrase a été commencée d’une façon, puis poursuivie d’une autre. Quand une proposition est apposée au début d’une phrase (ici, le gérondif “en travaillant”), elle se rattache alors au sujet de la proposition principale (ici, “sa plume”, et non Cachou). On pourrait alors dire que syntaxiquement, c’est la plume qui travaille, et pourquoi pas ! C’est là qu’on invoque la licence poétique (plus par flemme que par style, pour certains, surtout pour Cachou le paresseux). On notera qu’en présence d’un possessif, l’anacoluthe est davantage acceptée. 

La rupture syntaxique naît souvent de l’absence de sujet pour une des propositions. En cette absence, il devient difficile de savoir à quel sujet implicite le fragment se rattache. Par exemple :

On comprend facilement que ce n’est pas le repos qui a travaillé très dur, aussi ça ne vous semblera peut-être pas tout à fait utile de corriger. Pour autant, la fluidité de la lecture est gênée, on s’attend à un certain sujet, et c’est un autre qui nous est présenté. C’est souvent inconfortable à la lecture, et si vous voulez jouer avec cet inconfort, pensez à sa pertinence.

Cependant, l’anacoluthe peut vite devenir non seulement inconfortable mais aussi totalement fautive quand on a un élément qui s’accorde en genre et/ou en nombre :

Grammaticalement “étendu” devrait s’accorder avec le sujet “sa peau”. Sémantiquement, en revanche, je doute qu’on ait voulu dire que c’est sa peau qui est étendue (à moins d’aimer les images un peu étranges). On a donc une rupture syntaxique beaucoup moins élégante et il est préférable de la corriger. De même, tous les adjectifs du second exemple ne se rattachent absolument pas au sujet de la phrase, et leur accord au singulier avec un sujet au pluriel est très inesthétique.

Comment corriger l’anacoluthe sans trop dénaturer sa phrase d’origine ? Je vous propose plusieurs méthodes.

1 – Déplacer le fragment

2 – Ajouter un sujet au fragment problématique

3 – Changer le sujet de la proposition principale

4 – Remplacer le verbe ou l’adjectif par un nom

Méthode n°1 : déplacer le fragment

Si votre adjectif ou votre participe pose problème dans son accord, c’est parce qu’il est connecté au mauvais sujet. Changez-le de place et rattachez-le au sujet qui est pertinent (dans notre exemple, c’est Cachou, et non “la peau”).

Méthode n°2 : ajouter un sujet

Cette méthode demande souvent, si vous ne voulez pas deux propositions principales, l’ajout d’une petite locution, d’une conjonction, d’un adverbe ou autre. Par exemple :

La conjonction “quand” permet ici d’ajouter un sujet, de créer une nouvelle phrase avec sujet + verbe tout en la reliant à la suite plutôt que de faire une autre proposition principale sans lien aucun. Selon le contexte, vous aurez bien des outils à votre disposition. Voici une liste non exhaustive : tandis que, alors que, pendant que, quand, dès que, une fois que, maintenant que, cependant, que/qui/où etc. Vous n’êtes pas obligé·e d’ajouter l’élément linguistique devant le nouveau sujet, vous pouvez tout à fait le placer sur l’autre proposition :

C’est en changeant la syntaxe qu’on se débarrasse d’une rupture syntaxique (logique !). Transformer des propositions, ajouter des subordonnées, des conjonctions, des adverbes ou même une simple virgule peut modifier le sens de votre phrase. Il y a cependant une chose qu’on oublie trop souvent : aller au plus simple. Ne compliquez pas votre phrase, ne réfléchissez pas trop aux règles grammaticales ou syntaxiques et laissez votre instinct vous dire quoi modifier. Vous finirez forcément par trouver le juste équilibre entre ce qui vous plaît et ce qui est grammaticalement correct.

Méthode n°3 : changer le sujet de la proposition principale

C’est simple, on remplace le sujet pour mettre celui qui est pertinent avec le fragment qui pose problème.

Vous aurez parfois l’impression de vous séparer d’un élément important, mais ce sera rarement le cas. Dites-vous que l’information supprimée, si elle est nécessaire et pertinente, peut être ajoutée dans une autre phrase, glissée dans une précédente qui existe déjà, ou dans une suivante que vous prendrez le temps d’écrire après avoir corrigé votre anacoluthe.

Méthode n°4 : remplacer par un nom

Celle-ci n’est pas ma préférée parce qu’elle n’est utile que dans certains cas bien précis. Toutefois, elle est pratique quand l’ajout d’un sujet semble inesthétique. Au lieu d’ajouter un sujet au verbe, on supprime la forme verbale (ou les adjectifs), tout simplement, pour la remplacer par un nom.

Pas besoin de se demander qui a travaillé très dur, à quel sujet implicite ça se rattache.

Si ici on veut se passer du verbe terne “être” de notre ancienne correction “Tous les paresseux admiraient Cachou, qui était travailleur, motivé et adorable”, on peut aussi tenter cette méthode :

Ainsi, en l’absence de verbe ou d’adjectif, pas de sujet implicite, pas de faute grammaticale ou syntaxique. La compréhension reste présente, sans inconfort.

Selon la méthode utilisée, certains sens se perdent, d’autres s’ajoutent, c’est vrai. Il convient de tester les méthodes qui vous conviennent. Niveau sens et poésie, il vaut mieux essayer différents verbes, différents sujets, différentes syntaxes. Mon conseil principal sera toujours de ne pas rester trop attaché·e à votre phrase d’origine. Si vous devez la remanier, prenez du recul, et recommencez-la depuis le début sans tenir compte de la façon dont vous l’avez rédigée la première fois. Recommencez même votre paragraphe entier si besoin. Vous pouvez donner les mêmes informations de centaines de manières différentes, il n’est pas souvent utile de se raccrocher à une phrase et de tenter désespérément de la rendre correcte en changeant le moins d’éléments possible. Une phrase grammaticalement correcte peut vous paraître beaucoup moins élégante que votre rupture syntaxique. À ce moment-là, il convient peut-être de prendre le problème sous un nouvel angle et d’oublier toutes ces méthodes pour vous contenter de réécrire le passage.

J’espère que cet article vous aura été utile. Pour davantage de contenu de ce genre, n’hésitez pas à aller jeter un œil au sommaire. Vous pouvez vous inscrire à la newsletter juste en bas de la page pour être averti·e des nouveaux articles publiés sur PMF.

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