La majuscule en fantasy

Quand et où mettre la majuscule initiale à un mot, lieu, titre ou fonction que vous avez inventé ? Cachou vous donne la réponse.

Ne nous voilons pas la face, la tentation est grande, quand on invente un lieu, une créature, une espèce, un ordre ou un titre, de mettre des majuscules. Il arrive souvent qu’elles soient superflues, voire illogiques, et elles pullulent pourtant. Elles sont jolies, elles mettent l’accent sur la différence, sur un caractère unique, sur une invention sortie de votre génie incompris. La décision vous reviendra quoi qu’il en soit ; si vous voulez la mettre, alors foncez. En revanche, je vous conseillerai toujours de réfléchir au sens, à l’intention que vous communiquez, parce que les majuscules ne sont pas dénuées d’importance. Comment les justifier, comment choisir lesquelles garder, comment être certain·e de faire ce qu’il faut avec nos majuscules quand on ne peut pas vraiment googler pour s’en assurer ? Cet article pourra peut-être vous aider à utiliser les majuscules au mieux en suivant une véritable logique, et peut-être que vous adopterez ma méthode, que j’ai renommée : “la majuscule de l’Élu” (« The One » pour faire plus classe).

I) La majuscule pour les peuples et les races

Il est plutôt (modérément) logique de mettre une majuscule aux peuples et aux races, vous pouvez souffler, on commence doucement. On peut distinguer deux manières de faire.

  • On traite le nom du peuple comme un gentilé : majuscule au nom commun et minuscule à l’adjectif. Comme on dit un Français et une personne française, on dira donc un Elfe et un archer elfique, un Nain et un guerrier nain, etc. Je vous déconseille fortement de laisser la majuscule lorsque vous transformez votre mot en adjectif, ça ne suit pas la logique de notre langue et ça paraît donc un peu superflu.
  • La méthode de l’Élu, celle que je recommande vivement : on réduit le nombre de majuscules. On parlera des elfes, des humains, des hommes, etc. avec une minuscule quand on parlera d’individus ou de groupes d’individus. Par exemple, si on devait désigner Legolas dans une phrase, on écrirait : “L’elfe décocha ses flèches avec adresse” (et non : “l’Elfe décocha ses flèches avec adresse” avec la méthode du gentilé). On mettra toutefois une majuscule quand on parle du peuple en entier, de l’espèce ou de la race. “Les Elfes se sont rebellés après avoir été opprimés par les Hommes” = la race elfique s’est rebellée contre l’oppression de la race humaine. On parle ici de généralité, un peu comme quand vous voulez mettre une majuscule à l’Histoire et l’Homme pour parler d’un concept bien plus global. Ça demande davantage de réflexion et d’interprétation, mais vous serez certain·e des intentions que véhicule votre phrase.

II) La majuscule pour les établissements

Qu’importe le nom de votre établissement, la Grande Prison Intersidérale ou le Refuge des Hommes du Nord, vous serez tenté·e de mettre des majuscules, je vous connais, petit·e auteurice de fantasy que vous êtes. Prenez garde toutefois à la place de cet établissement dans votre univers. Je vais prendre comme exemple le Palais de Justice, dans notre réalité et dans notre langue, pour vous suggérer une façon de faire.

Le palais de justice existe en plusieurs exemplaires en France. Ainsi, nous avons celui de Lyon, celui de Paris, celui de Nantes, etc. Ce sont des établissements assez courants. Il est probable que vous en ayez un dans votre ville aussi. Il n’y en a pourtant qu’un seul qui prend la majuscule, et dans un contexte précis. C’est celui de la capitale, Paris. On lui donnera les majuscules pour son statut de palais de justice principal; c’est le même principe que ma majuscule de l’Élu. Cependant, en présence de tout autre précision, on se passera des majuscules. Aussi, si je dis le palais de justice de Paris, je mets les minuscules. Si je dis le Palais de Justice, sans préciser lequel, vous savez que je parle de celui de Paris grâce aux majuscules. Et si votre personnage habite à Lyon et se rend au palais de justice, alors il se rend probablement à celui de Lyon, mais s’il se rend au Palais de Justice, alors il va jusqu’à Paris, en train, en bus, en voiture ou à pied, qu’en sais-je. Vous pouvez appliquer cette logique selon l’établissement de votre choix et selon la capitale de votre univers inventé. Un temple, une prison, une mairie ou autre, vous savez désormais comment utiliser la majuscule à bon escient selon les établissements importants dans votre récit auquel vous souhaitez mettre une majuscule et qui ont une signification particulière.

On notera que la majuscule de l’Élu s’applique d’autant plus s’il n’existe qu’un seul “exemplaire” de votre établissement. Le Grand Temple en opposition à le grand temple de Machinville, ça peut faire toute la différence, mais s’il n’existe qu’un seul temple dans tout votre récit, vous pouvez l’appeler le Temple, qu’il soit dans la capitale ou pas. Les majuscules véhiculent un sens bien précis. Apprivoisez-les.

III) La majuscule pour les lieux

En français, le nom générique qui précède le nom du lieu est tout en minuscules. La rue des Papillons. Le cap Horn. L’océan Atlantique. Le port des Sorcières. Vous avez compris l’idée. Vous pouvez appliquer cette logique pour tous les mots qui désigneraient une zone géographique ou une construction qui a un nom précis. Une avenue, une vallée, une prairie, une montagne ou même un établissement, oui, même si on a déjà vu ce point pour un cas bien précis. Cette logique sera correcte.

Si vous inventez un nom qui n’est pas le nom officiel de votre rue, de votre port ou de votre quartier et juste un surnom donné par les habitants, on pourra un peu faire son choix, entre par exemple la vallée des fleurs ou la Vallée des Fleurs, parce que c’est l’usage qui décide, et c’est vous qui décidez de la façon dont les gens l’appellent dans votre univers. Évitez toutefois la vallée des Fleurs si ce n’est pas le nom officiel, il pourrait y avoir confusion.

Avec la logique de The One, quand vous ajoutez une majuscule au nom générique, alors là vous ne rigolez plus, ce n’est pas juste la vallée des Fleurs, c’est la Vallée des Fleurs, la réputée, la fameuse, l’incroyable vallée dont tout le monde parle et dont le nom est entré dans la légende !

IV) La majuscule pour les créatures

Il est tentant de mettre une majuscule à chaque créature que l’on invente ou que l’on considère comme mythique ou mythologique. Les dragons, notamment, ont souvent le droit à une majuscule. Personnellement, je recommande de se passer de la majuscule lorsqu’il y a plusieurs représentants de l’espèce. On fera également la différence entre une créature qui a un système de pensée proche de celui des humains de celles que l’on peut comparer à des animaux dans votre nouvel univers. Ainsi, si les dragons sont considérés comme une espèce qui pense, parle, qui a une culture et une histoire, on aura tendance à utiliser la même logique qu’avec les elfes et les nains. D’ailleurs, ça peut aussi être un symbole important, une indication quant à la place d’une espèce ou d’un peuple au sein de votre univers, si votre intention est de mettre en valeur la façon dont une certaine espèce est considérée comme inférieure par d’autres peuples. Les majuscules véhiculent plein de sens cachés.

Avec le reste des créatures, on gardera la minuscule pour les dragons s’ils se rapprochent de créatures plus animales, pour les goules, pour les licornes, tout ce qui n’existe pas pour nous dans notre réalité mais qui, dans le monde que vous avez inventé, se rapproche d’autres animaux. On peut faire une exception, comme je le disais, s’il n’y a qu’un seul représentant. On utilisera alors la majuscule de l’Élu, qu’on peut comparer à certaines mythologies. 

La majuscule de l’Élu, il faut l’utiliser avec parcimonie, mais elle est très utile pour désigner un personnage qui n’a nul pareil. Le Minotaure, par exemple, a sa majuscule dans beaucoup de récits en référence à la mythologie grecque. Aussi, s’il n’y a qu’un seul dragon dans votre récit, il peut tout à fait prendre la majuscule sans s’embarrasser d’autres critères. Il est The One.

Au bout du compte, ce qui importe, c’est ce que vous voulez signifier.

V) La majuscule pour les titres

Accrochez-vous, ça va être long.

La majuscule à “roi” et ses semblables, vous pouvez l’oublier, elle sera rarement pertinente, à moins de créer un véritable surnom comme le Roi-Soleil. Tout ce qui est nom commun comme souverain, comte, duc, maire, vicomte, etc., ce n’est pas pertinent de mettre une majuscule. On en met seulement à Votre Majesté, Son Altesse, voire Sire. Tout le reste, c’est souvent des majuscules superflues, comme celles souvent ajoutées à docteur Untel, maître Truc, prince Machin, etc.

Là où les majuscules ont tendance à se répandre, c’est avec le nom des institutions, des ordres, des guildes, etc. On parlera donc de l’ordre des Mages ou les Magiciens, les Ombres de l’Obscurité ou même la Lumière Ardente du Paradis. La majuscule de l’Élu s’applique ici : si l’institution est unique, la majuscule est de mise. S’il en existe plusieurs, laissez-la au placard. On fera d’ailleurs parfois la distinction, selon le sens, entre l’institution et le reste. Comme on met une majuscule à Église pour nommer le concept global, on peut faire la même chose. Aussi, le Sénat (l’institution) régie le royaume, mais le sénat (ses membres) s’est réuni pour prendre cette décision. C’est souvent prise de tête et c’est une question d’interprétation.

On notera l’utilité de la majuscule dans certains cas précis, quand il est nécessaire de faire la différence entre un membre de l’ordre et un citoyen lambda. C’est donc plus pertinent de mettre une majuscule lorsque le nom de l’institution et de ses membres est identique à un mot déjà existant qui a pourtant une autre définition. Aussi, votre guilde des Adorateurs de Satan peut avoir recruté Jean, qui est un adorateur de Satan en plus d’être un Adorateur de Satan, parce que c’est tout à fait logique. Cependant, tout adorateur de Satan n’est pas forcément un Adorateur de Satan, car on peut adorer notre cher diable sans faire partie de sa guilde maléfique. Voilà pourquoi il est important d’avoir une logique et une intention dans les majuscules que l’on utilise. Si vous voyez que dans tout votre récit, vous n’avez aucune réelle différence entre un mage et un Mage, peut-être bien que votre majuscule est de trop.

Un parallèle avec notre monde vous confortera peut-être dans l’idée, aussi nous pouvons tenter de rapprocher cette logique avec le Sénat, un sénateur ou l’Inquisition, un inquisiteur. On pourra d’ailleurs noter que pour l’Inquisition, le Grand Inquisiteur a droit à ses majuscules. C’est le seul et l’unique, voyez-vous. C’est l’Élu, The One. La majuscule, apparemment, ça se mérite. Si vous hésitez, rappelez-vous que Geralt de Riv n’avait pas besoin d‘une majuscule en tant que sorceleur, mais qu’Eragon en avait une en tant que Dragonnier.

Votre récit, vos règles.

Je l’appelle la majuscule du Copyright parce qu’elle a vraiment l’air d’être une marque, parfois.

Est-ce que votre mage utilise le Sort de Régénération, une Fiole de Lévitation, un Parchemin Magique de Trasvilla ? Selon ma méthode de la majuscule de l’Élu, c’est totalement superflu. Votre potion, s’il en existe plein d’exemplaires, si elle peut être refaite, distribuée, achetée, n’a pas de raison d’avoir une majuscule dans votre récit, à moins que ce soit une marque déposée par une entreprise, comme un Pepsi plutôt qu’un soda (ou vous êtes team Coca ?). Aussi, on préférera mettre une majuscule pour ce qui est unique. Les Reliques de la Mort, l’Anneau Unique. Laissez vos potions, vos sorts, vos parchemins, ils ne sont pas soumis à un brevet déposé. Choisissez ce qui est vraiment important, l’artefact autour duquel l’histoire tourne. Laissez-lui toute la gloire.

On peut s’éloigner de cette règle s’il y a équivoque. Si votre potion s’appelle la lévitation, vous pourrez vous rendre compte qu’il y a parfois ambiguïté de sens. Et là, eh bien, je dirais qu’on y va souvent au chaos. Soit on met une majuscule à cette potion-là et pas aux autres, et alors la logique s’enfuit en courant, soit on en met à toutes les potions et on se retrouve avec une armée de majuscules prêtes à envahir notre monde. Si je devais faire un parallèle avec une règle de typographie, ce serait celle des enseignes en italique. En typographie, on met en italique les noms d’enseigne reproduits intégralement. Cependant, avec le temps, ça s’est perdu, et de nos jours on choisit parfois de ne l’utiliser que si le nom en question crée une équivoque de sens telle que “je suis allée chez Paul” et “je suis allée chez Paul”. L’italique permet d’identifier le nom comme un restaurant et non une personne. Toutefois, l’italique peut-il nous sauver de cette armée de majuscules et défier les règles traditionnelles ? Si je devais vous conseiller la meilleure manière de faire, ce serait de lever l’ambiguïté sans s’embarrasser de la typographie, quitte à ajouter un mot. Ni majuscule, ni italique, mais les guillemets ou une préposition, selon ce qui est sensé : “Il but une potion ‘lévitation’” ou “Il but une potion de lévitation”. J’appliquerais la même méthode avec tout ce qui crée une équivoque de sens dans un récit de fantasy.

En conclusion, rappelez-vous que la typographie est changeante d’une grammaire à l’autre, d’une langue à l’autre, d’une maison d’édition à l’autre et, surtout, d’un·e auteurice à l’autre. Vous avez le contrôle de tout votre récit et vous prenez toutes les décisions, veillez simplement à suivre la même logique partout sans passer d’une règle à l’autre à votre convenance. Vous aurez rarement tort si vous avez une réelle intention, mais rappelez-vous que les majuscules ont un pouvoir, et en abuser peut diminuer l’impact qu’elles auront dans votre récit. Que vaut l’Anneau Unique s’il est entouré de Dragons, de Sorts de Lévitation, d’Enchantements des Mages Insulaires et de Potions Pousse-Vite pour les Petits Pois Magiques?

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